L’art, et plus particulièrement la peinture, a toute sa place sur les étagères de la librairie chez Madame Bovary. Pour ceux d’entre vous qui les ont déjà parcourues, vous avez pu vous faire une idée des goûts personnels des deux gérantes. Pour les autres, ne résistant pas au plaisir de partager nos expériences en tant que « regardeuses », voici une proposition de musée imaginaire.
L’Enfant au jouet, Chaïm Soutine (Fondation Im Obersteg), 1919
Quand Soutine peignait, c’était sa colère qu’il jetait sur la toile. Chez cet artiste, nulle délicatesse dans la touche mais des empattements, aucune complaisance, aucune idéalisation dans ses paysages, figures, natures mortes ou portraits. Cet enfant en témoigne avec ses traits qui semblent plus ceux d’un vieillard que d’un enfant, ses mains boursoufflées et sa cuisse difforme. Tout dans ce tableau, en particulier la palette chromatique avec cette déclinaison de rouges sombres tant dans l’arrière plan que dans le vêtement et la carnation, participe de cette atmosphère étrange et revêt une force surprenante voire dérangeante. Soutine met à mal notre conception de l’enfance.
La Mort, Marc Chagall, 1808-1809
Selon moi, Chagall est le peintre poétique par excellence. Il a peint La Mort à 21 ans et tous les thèmes qui jalonneront son œuvre à venir y figurent déjà : l’évocation du monde populaire russe (en particulier la communauté juive), l’intrusion d’événements passés ou présents de sa vie privée auxquels il confère une dimension universelle. L’onirisme, comme toujours chez Chagall est palpable. Sur la toile, dans une scène dont on ne sait si elle se passe la nuit ou le jour, s’invitent un mort allongé sur le bitume, une femme affolée les bras levés, un balayeur, un homme dont on n’aperçoit que les jambes et un violoniste perché sur le toit d’une maison.
Un tableau angoissant et poétique à la fois qui laisse la porte ouverte à une multitude d’interprétations. Bienvenue dans l’univers chagallien.
L’Annonciation, Simone Martini et Lippo Memmi (Musée des Offices, Florence), 1333
La peinture italienne du XIVème siècle m’enthousiasme énormément. Je ne pouvais donc pas concevoir un musée imaginaire sans la citer. Dans un premier élan, j’avais retenu les fresques de la chapelle … dans l’église Santa Croce (Florence) peintes par le grand peintre florentin Giotto di Bondone, le père de la peinture moderne. Mais j’ai préféré opter pour Sienne, la rivale, à travers ce triptyque réalisé par l’un de ses plus grands représentants, Simone Martini, aidé par son beau-frère Lippo Memmi.
Ce qui m’intéresse dans cette Annonciation, c’est que nous sommes en présence d’une œuvre qui se situe à la charnière de deux époques. Le fond doré (sublime fond doré ! ), l’architecture avec ses arcs brisés, les auréoles des saints très travaillées sont autant de caractéristiques qui relèvent de la tradition gothique, c’est à dire du monde médiéval finissant. En revanche, la profondeur de l’espace (la Vierge et l’ange ne sont pas tout à fait sur le même plan), l’épaisseur des personnages, la représentation minutieuse des étoffes et des matières, l’expression de la sensibilité en font une œuvre moderne, résolument tournée vers la Renaissance.
La Vierge au sac, Le Pérugin (Palais Pitti, Florence), 1496-1500
Il y a trois ans, lorsque j’ai visité la Galerie Palatine du Palais Pitti, à Florence, cette Pietà fut le tableau qui m’a fait la plus forte impression. Je suis restée de longues minutes à le contempler. Puis je m’en suis éloignée, poursuivant ma visite (il y a tant de splendeurs à découvrir en ce lieu). Mais je n’ai pu m’empêcher de retourner sur mes pas, mue par un irrépressible désir de dialoguer encore un peu avec cette peinture.
Qu’a-t-elle de si particulier à mes yeux ? Une douceur et une grâce incomparables. Je crois que c’est bien cela qui m’a saisie. La lumière chaude qui enveloppe la scène, tant les personnages que le paysage à l’arrière-plan, la courbe des visages, les teintes harmonieuses, les poses empreintes de piété et de naturel à la fois confèrent au tableau une élégance qui me touche énormément.